Pour ce troisième volet de la série d’entretiens sur le thème du bois et de la RE2020, le portail du bois lamellé aborde l’un des changements majeurs introduits par la nouvelle réglementation pour mesurer l’impact environnemental des constructions, le calcul de l’Analyse du Cycle de Vie (ACV). Sur quelle méthode repose l’Analyse du Cycle de Vie, quels éléments prend-elle en compte ? À quel moment et comment est-elle calculée ? Dans quelle mesure permet-elle d’améliorer le bilan carbone d’un projet ? Rosalie Delannoy, ingénieure Énergie Environnement et référente ACV Carbone pour le bureau d’études Pouget Consultants, répond à nos questions.

EN QUOI L’INTRODUCTION DES ACV A-T-ELLE CHANGÉ VOTRE MANIÈRE DE TRAVAILLER POUR ÉVALUER L’IMPACT ENVIRONNEMENTAL DES PROJETS ?

Nous avons été très impliqués dans l’expérimentation E+C- qui a préfiguré la RE2020 donc la question de l’impact environnemental, qu’il soit sur le plan énergétique ou des émissions de CO2, est un sujet que nous traitons depuis longtemps. La mise en place de la RE2020 a tout de même fait évoluer notre travail. D’abord nous intervenons beaucoup plus en amont dans les projets. En phase concours, le sujet environnemental est une donnée importante sur laquelle nous avons un rôle de conseil et de pédagogie à jouer vis à vis des maîtres d’ouvrage et de l’équipe de maîtrise d’œuvre. Dès les esquisses, nous réalisons une première analyse afin que le projet, en fonction de sa typologie et de ses contraintes de mise en œuvre, parte d’emblée sur de bons rails. Ensuite, l’une des mutations de notre analyse est le passage de la méthode d’ACV statique (utilisée dans le cadre de l’expérimentation E+C-) à l’ACV dynamique retenue dans la RE2020, qui attribue un poids plus important aux émissions carbone générées au début du cycle de vie par rapport à celles émises en fin de vie du bâtiment.

POUVEZ-VOUS NOUS EXPLIQUER LE PRINCIPE DE L’ANALYSE DU CYCLE DE VIE D’UN BÂTIMENT ?

L’ACV est une méthodologie normée (norme NF EN 15804) de calcul de l’impact des composants d’un bâtiment sur l’environnement. On parle d’ACV du berceau au berceau puisque sont prises en compte toutes les étapes depuis l’extraction des matières premières, la production et le transport des matériaux, leurs mises en œuvre, l’exploitation du bâtiment (sur 50 ans) et sa fin de vie. Pour déterminer l’indice ICconstruction sur lequel s’appuient les seuils fixés par la RE2020 selon les typologies de bâtiments (voir les différents seuils dans notre précédent article ICI), l’ACV nécessite donc d’inventorier l’ensemble des produits d’un projet ainsi que leur poids carbone. L’impact individuel de chaque produit est évalué grâce à sa fiche FDES1, document normalisé présentant les résultats de l’ACV du produit. L’ensemble des fiches FDES disponibles pour le calcul réglementaire sont répertoriées dans la base INIES.

QUELS SONT LES ÉLÉMENTS PRIS EN COMPTE À CHAQUE ÉTAPE DU CALCUL DE L’ACV D’UN BÂTIMENT ?

Le calcul de l’ACV se décompose en 4 grands modules : le module A correspond à la phase de production et de construction du bâtiment, le module B évalue sa phase d’utilisation, le module C sa déconstruction et enfin le module D, qui comptabilise la valorisation potentielle (énergétique, recyclage ou réemploi) des matériaux après la fin de vie du bâtiment et la traduit sous forme de contribution aux gains d’impact à l’échelle du bâtiment.

À QUEL STADE DU PROJET SONT EFFECTUÉS LES CALCULS DES ACV ET AMÈNENT-T-ILS À RECONSIDÉRER CERTAINS CHOIX STRUCTURELS ?

L’ACV se pilote tout au long du projet, de l’APS (Avant-Projet Sommaire) jusqu’à la fin du chantier, avec une étape importante en phase d’APD (Avant-Projet Détaillé), lors de laquelle nous insérons la donnée environnementale de chaque matériau avec le quantitatif associé. Dans ce travail au long cours, notre rôle est de mesurer le bilan carbone et d’optimiser celui-ci au regard des objectifs visés par la maîtrise d’ouvrage, en cherchant les modes constructifs les moins carbonés et les plus appropriés au projet. Étant un élément prépondérant dans l’impact carbone total d’une construction, la structure du bâtiment constitue l’un des éléments déterminants de l’ACV, celui qui aura une forte influence sur sa performance environnementale. Les choix structurels sont effectués très en amont. C’est pourquoi il est important de constituer une équipe de maître d’ouvrage-architecte-bureau d’études soudée dès le départ, afin d’envisager, selon la configuration du projet, l’introduction au sein de la mixité structurelle de solutions comme le bois lamellé ou le CLT2, dont la masse volumique et la performance environnementale permettent de réduire le bilan carbone de façon importante. L’optimisation des choix constructifs sur le plan environnemental nécessite d’évaluer leur impact global, afin qu’ils puissent évidemment répondre aux autres aspects réglementaires (sécurité incendie, acoustique, confort d’été) ainsi qu’à l’ensemble des labels et certifications visés.

QUELS CONSEILS DONNERIEZ-VOUS AUX MAÎTRES D’OUVRAGE POUR ABORDER SEREINEMENT CETTE ÉTAPE DES ACV ?

Le maître d’ouvrage a un rôle majeur dans la démarche et nous constatons un profond changement des mentalités depuis la mise en place de la RE2020. La volonté de réduire l’impact sur l’environnement de l’acte de construire est réelle et les maîtres d’ouvrage sont très volontaristes dans ce domaine, avec une optique à long terme : nous sommes le plus souvent interrogés non pas pour atteindre les seuils actuels, mais déjà ceux des années à venir. Si je devais leur faire une seule recommandation, ce serait l’anticipation. Déterminer en amont de manière précise les objectifs du projet en regard des contraintes techniques liées au site ou à sa typologie, est un facteur clé pour que tout le processus se déroule sereinement ensuite. Je reviens sur la constitution dès le départ d’une équipe de maîtrise d’œuvre dans laquelle nous pouvons exercer notre rôle de pédagogie et d’animation autour des enjeux carbone, car elle est essentielle pour que la démarche d’ACV ne soit pas vécue ensuite comme une contrainte, mais au contraire comme un moyen de construire ensemble un projet architectural plus vertueux.

EN SAVOIR PLUS SUR LES ATOUTS DU BOIS DANS LE CADRE DE LA RE2020 :
CONSULTER LE DOCUMENT DU CODIFAB
« CONSTRUCTION DURABLE ET RE2020 : 7 RAISONS DE CHOISIR LE BOIS »

Photo en haut de page : détail de charpente de la rénovation du bâtiment Brion de l’École nationale vétérinaire d’Alfort (94). Maître d’ouvrage : EnvA. Maître d’œuvre : Artbuild. Crédit photo : Tristan Deschamps.

En savoir plus

Lire l’interview sur le Bois et la RE2020 de Clément Quineau, Responsable des Affaires Techniques de l’UICB.
Lire l’interview sur le Bois et la RE2020 de Sylvain Rochet, Président de l’Association Ingénierie Bois Construction (IBC).

En savoir plus sur le bureau d’études Pouget Consultants : www.pouget-consultants.eu

 FDES : Fiche de Déclaration Environnementale et Sanitaire.
 CLT : Cross Laminated Timber ou bois lamellé croisé.